Y a personne

 Par Gilles Le Guennec, octobre 1991.

 

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée
Charles Baudelaire (Les fenêtres)

Parmi des miroirs et à l'opposé d'une fenêtre, les aquarelles ponctuent de leur transparence relative l'opacité des murs de l'atelier. Bien qu'il ne soit plus question de surface spéculaire (la peinture ne masque pas l'obturation, elle ne vise pas non plus à la montrer), d'autres espèces de miroirs sont ainsi produits qui ne cessent de saisir des instants fugitifs de "la réalité visible (et invisible) extérieure" et de former des êtres sans image évidente.

L'autre y est (ajoutant l'alliance à la filiation), non pas posé a priori, mais en émergence, autorisé à être par l'unité de l'œuvre, condamné à ne devenir que dans la formation d'un regard de synthèse qui condense des objets multiples et des parcours exploratoires. Car s'il s'agit de s'approprier le paysage, les formes sont mises à jour sans frivolité : pas plus qu'elles ne préexistent à la peinture qui dans son ordre les faits voir, celle-ci ne saurait les produire hors d'une attention à l'extériorité qui résiste. Ce n'est donc pas tant une image cachée qu'il s'agit de porter à la conscience que de faire et de former un regard plastique qui trouve partout et à tous moments l'occasion de comprendre.

Comprendre c'est ici "prendre avec soi" : Yves Bougeard ne donne à voir que ce qu'il s'est approprié ; et la "prise de vue" n'a rien d'automatique : elle se veut écoute et disponibilité, non chargement en un magasin-miroir, réceptacle de tous les stimuli. Quels rapports ont été noués lorsque son œil s'est arrêté soudain sur telle partie du champ visuel : un avant et un arrière plan liés entre eux pour former un être pictural, un vide innommable entre deux objets trop évidents, trois triangles qui accusent une relation potentielle. Il interroge ainsi une latence en réitérant mais avec un matériel chaque fois différent : le crayon gras qui s'égrène et se lime ne fait pas voir comme l'aquarelle et ses épanchements en plage calme de douces couleurs.

Au total ce ne sont pas des palimpsestes mais une façon de faire cohabiter dans l'unité de l'espace des êtres formels uniques. L'enthousiasme est patient, l'intégration n'est pas faite dans l'urgence et le trait s'arrête, l'hésitation se marque en tortillon avant de jeter un pont entre deux îles. Les "sémaphores" ne sont pas nettement configurés, ils s'ouvrent toujours un peu à l'espace, importent et exportent leurs effets de sens : tel corps, traversé d'une ligne-bijoux qui le rythme, annexe l'architecture d'une maison et s'embranche dans les blancs de lumière ; c'est un hôte, lâchons le mot, une presqu'île qui attend le regard pour le conduire en un développement de formes vers l'unité virtuelle d'un archipel.