Chemin faisant

Par Ronan Descottes, 2017.

 

« Comprendre ce que l'on peint, comprendre comment peindre, pourquoi peindre. »
Yves Bougeard, Entretiens.1

Suis-je bien conscient de ce que je dois à l’enseignement d’Yves Bougeard ? Il m’a fait naitre à la peinture. Il m’a permis de prendre conscience des enjeux plastiques et artistiques du pictural.

Des séances d’atelier2 de la bien nommée rue Saint-Yves, je garde le souvenir de ses conseils insistant sur le regard, sur la transcription du réel en formes et en lignes, en structures, en configurations, en organisations qui permettaient de comprendre « ce que l’on peint ». Et en relisant ses entretiens, je prends conscience qu’il m’a transmis une certaine compréhension du « comment peindre » et surtout, finalement, un questionnement essentiel sur le « pourquoi peindre », question à laquelle je n’ai pas de réponse définitive mais qui m’anime encore actuellement.

Je réalise que certains de ses propos font écho à des enjeux à l’œuvre dans ma pratique artistique actuelle.

J’envisage le travail dans la durée. Paradoxalement, le temps long (ce qu’Anne Kerdraon décrit en terme « de lente approche, d’entraînement permanent, de reprise incessante »3) permet le surgissement de « sensations fugaces, comme s'il s'agissait d'une véritable capture »4 de ce qu’il nommait des « êtres de formes ».

Cette recherche suppose que le résultat n’est pas déterminé à l’avance mais qu’il se construit le « pinceau à la main » et dans l’action. Favoriser l’apparition des signes fait du surgissement la conséquence de l’acte pictural. La peinture est donc un monde en gestation dont l’inachèvement est un corollaire.

Par ailleurs, je découvre maintenant qu’il m’a sensibilisé au fait que l’économie de moyens techniques permettait d’aller à l’essentiel (peindre léger comme on voyage léger). Enfin, le « travail en position horizontale » qu’il préconisait est devenu systématique chez moi et je l’exploite parfois « comme mode d’expositions ».

De façon plus singulière, le parallèle entre la peinture et le sport (lui le tennis, la planche à voile et moi le volley-ball), sur lequel nous avons échangé parfois, nous a rapprochés. Pour lui, tout est une question de trajectoire, de direction et de parcours. Nos conversations m’ont amené à voir une proximité entre la pratique picturale et celle du sport. Toutes deux sont en quête de la maitrise du geste (ou de la dé-maitrise, autre forme de maitrise en fait), toutes deux recherchent une singularité dans la répétition et mettent en place des stratégies dans l’occupation des espaces et dans les déplacements.

Le titre de l’exposition Changer tout en restant le même est celui d’une série que j’expose à la galerie Thébault à Bazouges-la-Pérouse5. C’est pour moi une façon d’affirmer une filiation et de rendre hommage à Yves Bougeard.

Ronan Descottes, novembre 2017.

 

 


1 - Voir Entretien avec Yves Bougeard.

2 - Yves Bougeard nous demandait d’observer et de transcrire en même temps, en traits, en formes, en couleurs, en valeurs lumineuses, en organisations spatiales, dans le but de créer une configuration singulière. Ce qui comptait n’était pas la ressemblance avec le modèle quel qu’il soit (corps nus, objets, paysages, reproductions d’œuvres d’art – Cézanne, Matisse, etc.) mais ce que l’on obtenait au cours du travail, et donc au cours du regard et du geste, chemin faisant. Il s’agissait de traduire sur feuille ce que l’on dégageait de ce modèle et qui pouvait varier d’une personne à une autre. On cherchait une compréhension plastique du réel comme si on devait trouver une structure. Il ne s’agissait pas de la révéler comme si elle était cachée mais de la construire par nous même, en y mettant notre singularité et notre sensibilité. Cela aboutissait à une forme de composition, certes, mais une composition qui avait bougée et évoluée sur la feuille au fur et à mesure de cette expérience visuelle et physique. La configuration finale était donc le résultat d’un cheminement plastique qui permettait de capter un moment de notre vision du réel, faite d’échos, de parallèles formelles ou colorés, de rapports, de contrastes, de trajets, permettant de traduire notre regard et notre processus mental. On était amené à sélectionner, choisir, simplifier ou complexifier. La disjonction trait/surface, sur laquelle il insistait, était un moyen plastique de rendre compte de la complexité du modèle (qu’il soit le réel ou une œuvre d’art). Mais nous n’étions pas prisonnier du modèle. Il servait en fin de compte de point de départ et non de point d’arrivée (pas de « à la manière de … »). Notre regard parcourait ce réel et établissait des liens entres formes, couleurs, rythmes visuels, entre les vides et les pleins. On créait et parfois inventait des correspondances, toujours au profit de notre production. En pratiquant cette forme d’analyse plastique « le crayon à la main », Bougeard nous aidait à comprendre le cheminement d’une œuvre tout en développant notre propre sensibilité. Il intervenait sur notre travail sans le diriger car il avait le don de percevoir et de comprendre ce qui nous préoccupait plastiquement dans notre propre cheminement. C’est pourquoi la question de l’inachevé était aussi au cœur de certains ateliers permettant de comprendre à qui le voulait que ce qui comptait ne fût pas d’où nos travaux venaient mais vers quoi ils nous menaient. Avec Yves Bougeard, l’analyse devenait création.

3 - Catalogue yves Bougeard peintures, galerie ombre et lumière, novembre-décembre 1991, Rennes

4 - « Les figures nouvelles, éphémères, qui surgissent semblent se jouer de nous, et nous échapper. Il faut donc inventer une formulation peinte et graphique apte à les présenter pour se rapprocher le plus possible des sensations fugaces, comme s'il s'agissait d'une véritable capture. », Yves Bougeard, Entretien.

5 - Le village, site d'expérimentations artistiques - Galerie Thébault - Bazouges-la-Pérouse (15 octobre 2017 - 10 décembre 2017).