Des exercices...

Par Jean-François Le Cornec, 1991.

 

Qu'est-ce qui nous intéresse davantage, la réussite d'un arrangement convenu, plus ou moins subtil et ingénieux, des mots, ou les échos profonds mystérieux, venus on ne sait d'où, qui s'animent au fond du gouffre ?
Pierre Reverdy, Le Gant de Crin

Mais comment faire écho, au loin, à l'écho de l'écho qui se peint et chante encore dans l'oubli ? À l'approche du savant empennage d'apparences peintes et de leur méditation, je crains la légèreté de mes antennes, la lourdeur de mes appeaux.

D'autant que, par un “ouragan de modestie”, les peintures de Y.B. sont sans titre ni signature. “Des exercices” dit-il - Pourquoi pas des préludes ou des fugues, exercices de Grands Commençants. les formats de 25 cm par 32,5 cm ou de 14 cm par 19 cm n'ont rien à voir à l'affaire. Des orientaux enferment des éléphants d'ivoire dans une graine, d'autres tendent des filets pour encager des oiseaux-mouches.

C'est à toi, Gulliver, d'établir les rapports suivant les fils et les laines, entre les Beaux Leurres figurés, les pennons et les flèches, safrans et plumes dans le jour de l'air gouverné, et, d'un exposé à l'autre, comme changeant de porte-manteau, de découvrir à la fois des haillons abstraits au soleil de son linge et le récit successif de leur prise.

Les peintres, depuis Cézanne et en amont, ont rendu grâce à la réalité des apparences, construit “par les rapports de deux réalités lointains et justes” l'image la plus ténue, jusquà la vapeur de la montagne. L'image, cependant, ne trouve plus sans hésitation, son emplacement et son aire, à l'ombre du fantôme toujours provoquant de la réalité.

Le titre d'une peinture d'Eugène de Kermadec, et dont Y.B. remet le legs silencieux au carré, Signes, Signaux, signalant un simulacre (1956) résume “la crise exquise” dont parlait, mais à propos du vers, Stéphane Mallarmé. Ce qui est en cause, ce n'est plus la réalité des Apparences, ni la vérité de “la maîtresse d'erreur et de fausseté”. L'image sur la toile est et n'est pas ce qu'elle est dans ses rapports avec les autres images. L'image pure, la voici dangeureusement ailée, elle a pu payer, hors de l'ombre son prix dans une prison de signaux de signes.

L'écriture guette le peintre, là où aussi le silence cherche un abri.

Dans l'univers de Y.B. dautres “frères voyants” comme les appelait Paul Eluard sont passés. Ce que je crois, c'est qu'une synthèse s'y cherche soucieuse de l'interrogation langagière des uns tout en préservant la foi perceptive des autres. Mais qu'importe, pour nous spectateur, les problèmes du Dalang au dessus de sa vitre. Il y a, à l'intersection acérée de la vision et de la réalité, l'opéra gulliverisé, non d'ombres mais d'images claires parce que désabritées de l'ombre de leur nid.

Tableau

J'y vois l'image de l'image à l'ombre désabritée de l'oiseau et le morceau de cuir rouge du maître-fauconnier. Un beau Leurre figuré. (Et je revois l'ombre réelle de l'oiseau fraîchir un jour le lit asséché de ma rivière, oublieux l'espace d'un battement, de ce dont elle semble le faux semblant, l'oeil envellopé dans l'unité usée de ma représentation) L'oiseau qui peint, lequel? me rappelle dans l'Ouvert que je suis comme lui capable de traces. L'oiseau (peint) dans le losange orangé répond à l'oiseau rouge qu'il est aussi un oiseau peint (dire ombre portée, gène) dans le sans fond de l'air. (troisième dimention le problème du simulacre est remis au cube ; dans d'autres tableaux, aplats qui girent, comme ici, la palette d'une crosse de golf expédiant l'oiseau nocturne dont l'ombre se cacherait derrière “l'arbre à songes”, retourne à son erre à l'arbre dont il est parti. Qu'il y a loin de l'image naturelle à la peinte! Qu'il y a loin du nid à la branche! Qu'il est plus beau encore le retour de l'ombre maintenant désabritée. Et tout se répercute, l'arbre à l'oiseau, les deux têtes de chevaux l'un du cauchemard, l'autre du jour (...)

Toutefois, j'ai réduit l'image à la petite loupe de mon porte-plume d'écolier, alors qu'au télescope, et à se voir plus ou moins heureusement verbalisées les images sont polymorphes. Dans un autre tableau, l'oiseau sera poisson ; ils ne se ressemblent pas, ils ont en commun l'aile, et s'ils n'ont ni l'aile ni l'aileron, ils en ont la direction. Que l'oiseau fasse métaphore, le sablier du temps, allégorie et les fils rouges, métaphore encore des rapports métonymiques entre ce que chacun est libre d'envisager sur le tableau, entre un arbre et un oiseau, entre les toits..., que le rose du nu entraperçu, que nul n'ose, soit Rose, Rose immarscecible, on s'aperçoit que le langage au contact de la peinture est frappé d'ouverture et que les exercices sont de rêve dirigé.

Il y a une stratégie de l'empennage dans ce duel sans merci et courtois entre les deux outils de l'archer. Les flèches en partant s'empennent de couleurs. Les os pour le vol sont robustes et légers. Le critique armé d'une ergologie subtile montrera avec plus d'exactitude la genèse poétique de la libellule au delta-plane, sous réserve toutefois de préserver l'X inconnue qui vaut aux moyens de l'essor d'être sans cesse renouvelés. Comme le faucon de mer disparu de nos côtes, à chaque estime, son pennage.

Qu'est-ce qui fait écho? comme bruissement, lointain qui parle, "le dangereux fantôme" de Paul Klee, "l'Ange du bizarre" de Baudelaire ou de Miro? Ce n'est pas la lutte de Jacob et de l'Ange d'Eugène Delacroix, non qu'il y manque des muscles; mais d'une feintise qui donne chance (...) le poète parle :

S'il rencontrait l'ange
Il lui céderait le passage

Guillevic Trouées

 

Jean-François Le Cornec, Nouakchott, 10 septembre 1991